33

Cole passa en revue l’historique du portable de Grebner, notant les numéros d’appels entrants et sortants sur un carnet à spirale. Quand ce fut fait, il fit réapparaître le dernier numéro entrant à l’écran et le montra à Pike. C’était celui d’une ligne fixe à indicatif 818[6].

— C’est l’appel que tu as pris chez Grebner – la personne qui a raccroché.

— Darko ?

— Je pense. Et voici le dernier numéro d’appel sortant, en direction de la messagerie vocale, enregistré sous le nom de « Michael ».

Cole lui montra un numéro à indicatif 323[7] puis remonta dans la liste des appels sortants.

— L’avant-dernier appel sortant correspond au même numéro, c’est celui que Grebner a passé juste avant de balancer son portable.

— C’est pour ça que je pense à Darko. Grebner venait de le contacter, donc il rappelait.

— Regarde ça. Ce modèle d’appareil ne garde en mémoire que les vingt derniers appels entrants et sortants.

Cole orienta son carnet pour que Pike puisse lire. Il avait réparti les numéros en deux colonnes, accompagnés des dates et des heures auxquelles chaque appel avait été passé ou reçu. Une petite moitié des appels entrants étaient suivis d’un X indiquant qu’ils provenaient de numéros masqués, mais Cole avait tracé des lignes reliant trois appels sortants à trois appels entrants. Il montra du doigt les appels sortants.

— Ça, c’est Grebner appelant Darko. Tu vois les heures ?

— Oui.

Cole désigna ensuite les trois appels entrants associés.

— Et chaque fois, il a reçu un appel entrant dans les vingt minutes suivantes. Un de ces appels a été passé d’un numéro masqué, mais les deux autres provenaient du même numéro que celui que tu as intercepté à la villa.

— Darko lui a téléphoné de plusieurs endroits ?

— On dirait. Mais pourquoi s’être servi d’une ligne fixe non masquée ? Deux fois ?

— Pas de réseau, peut-être. Rien d’autre sous la main.

Cole considéra un moment la liste d’appels puis ouvrit son portable.

— Voyons ce que ça donne.

Il composa le numéro et attendit. Il attendit très longtemps et finit par couper.

— Pas de réponse. J’ai compté vingt sonneries, et nada. En général, ça signifie que le poste est débranché.

— Tu pourrais nous trouver l’adresse ? demanda Pike.

Ce fut chose faite deux coups de fil et douze minutes plus tard. La ligne en question était enregistrée au nom de la société Diamond SA, à Lake View Terrace, dans la vallée de San Fernando. Cole reposa son portable.

— Ça peut coller. Lake View se trouve dans les contreforts, du côté d’Angeles Crest. Les montagnes sont toujours synonymes de mauvaise couverture pour les mobiles, donc l’usage des lignes fixes y reste incontournable.

— Bon début, dit Pike. Si j’allais faire un tour à Lake View pendant que tu vois ce que tu peux encore tirer de tout ça ?

Cole remit les papiers dans son sachet de supermarché.

— Si j’essayais plutôt de retrouver Rina et Yanni ? Il y a un peu trop de contradictions dans cette histoire, et…

Ils entendirent grincer le portail extérieur, et Pike alla à la porte. Rina s’arrêta net en le voyant, une main en visière au-dessus des yeux pour se protéger du soleil. Elle portait toujours le même jean, un tee-shirt noir, et son gros sac en bandoulière.

— Vous avez trouvé quoi ?

— Où est Yanni ? demanda Pike, ignorant sa question.

Elle le contourna avec un regard noir et pénétra dans la maison. Elle déposa son gros sac sur la table en observant Cole du coin de l’œil.

— Il doit travailler pour vivre. Il n’a pas droit à des jours de congé pour aider à retrouver les enfants kidnappés.

— Où étiez-vous ? demanda Cole.

Elle retira de son sac un paquet de vêtements qui sortaient de la machine.

— À la laverie. Mes vêtements puaient.

— Vous connaissez Emile Grebner ? interrogea Pike.

— Bien sûr, je le connais. Il m’a baisée plein de fois.

Elle prononça ces mots d’un ton détaché, comme elle aurait dit que ses yeux étaient bleus ou ses cheveux noirs, et elle se mit à plier son linge dans la foulée, comme si cette réponse n’impliquait rien de particulier. Ce qui était peut-être le cas pour elle, songea Pike.

— Comment l’avez-vous connu ? demanda Cole.

— Il a une grande maison dans les collines, où il faisait venir des filles pour ses fêtes. C’était avant Michael, peu de temps après mon arrivée, je devais avoir quinze ou seize ans. Il n’aimait que les filles serbes, pas les Américaines ni les Russes. Il nous faisait confiance, on se parlait comme au pays. C’est chez lui que Michael m’a rencontrée, là-haut. Pourquoi ça vous intéresse ?

— Vous savez donc sûrement qu’il fait partie des autorités de Darko, que c’est un de ses proches collaborateurs ?

— Je viens de vous dire que je le connaissais. Vous n’écoutez pas ?

— Grebner dit que le père du bébé est Milos Jakovic, intervint Pike. Pas Darko.

Pike observa attentivement Rina pour décrypter sa réaction. Des rides profondes apparurent entre ses sourcils, comme si elle cherchait ses mots. Après un rapide coup d’œil à Cole, qui l’observait tout aussi attentivement, elle fit de nouveau face à Pike.

— C’est vous qui avez inventé ça ?

— On n’a rien inventé, dit Cole. Et vous ?

— Je vous emmerde.

Elle se tourna à nouveau vers Pike avant d’ajouter :

— C’est complètement con. Je sais qui est le père, et Michael le sait aussi. Grebner ment. Pourquoi il a dit ça ? Où est-ce que vous l’avez vu ?

— Grebner y croit, répondit Pike. Darko et Jakovic sont en guerre à cause d’une vente d’armes illégales. Des fusils automatiques. Vous savez quelque chose à ce sujet ?

— Michael déteste le vieux. Ça, je le sais, mais je n’ai jamais entendu parler du reste. Pourquoi il dirait que Michael n’est pas le père ?

— Probablement parce que Michael le lui a dit. Cet enfant n’est pas de Jakovic ?

— Non.

— Jakovic pourrait-il croire que c’est le cas ?

Rina se raidit et toisa Cole comme s’il était la lie du genre humain.

— Sa queue n’est jamais entrée en moi.

Cole rougit. Rina se retourna vers Pike, qui crut voir ses yeux s’embuer.

— C’est ça que Michael dit à ses hommes ? Que ce n’est pas lui le père ?

— Oui.

— Ça n’a aucun sens. Michael m’a dit qu’il voulait emmener Petar en Serbie, mais sans moi. C’est lui le père, pas ce vieil homme que je n’ai jamais vu. Et moi la mère. Petar est mon enfant.

Cole regarda Pike en fronçant les sourcils.

— Tout ça me donne mal au crâne.

Rina l’ignora.

— Il a vraiment dit que Michael racontait ces horreurs ?

— Oui.

Elle médita un instant là-dessus, et son visage se froissa ; elle semblait au fond du gouffre.

— Je ne comprends pas. Peut-être qu’il dit ça pour cacher sa honte.

Cole croisa les bras et se carra sur sa chaise, le regard distant.

— Honte que la mère de son fils soit une pute ?

— Quoi d’autre ? Les hommes sont tous des lâches. Vous feriez pareil.

— Non. Sûrement pas.

— Mon cul. Vous n’avez qu’à me mettre en cloque, et on verra si vous parlez encore comme ça après : « Voilà la mère, c’est une pute. »

Cole se contenta de soutenir son regard.

— Grebner sait où est mon fils ? demanda-t-elle à Pike.

— Non.

— Les hommes sont tellement lâches. Emmenez-moi chez lui. Je lui ferai dire.

— Il ne sait rien, mais nous avons peut-être une piste en ce qui concerne Darko. Vous avez déjà entendu parler de Diamond SA ?

— Non. C’est quoi, une bijouterie ?

— On va aller voir, dit Pike.

Rina repoussa son linge et se dirigea vers la porte.

— D’accord. Allons voir.

Pike lui bloqua le passage.

— Pas vous. Nous.

Rina se lança dans une tirade en serbe qui les accompagna jusqu’au trottoir.

— Elle dit quoi, à ton avis ? demanda Cole une fois dehors.

— Aucune idée.

— Probable que ça ne nous plairait pas.

— Non. Probable que non.

Pike laissa Cole à sa voiture et partit vers la vallée.

Règle N°1
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